La charge de la prix Nobel Maria Ressa contre Musk et Zuckerberg : « Viendra le jour où ils devront rendre des comptes »
Grand entretien. La célèbre journaliste philippine estime que « le monde actuel est un bois sec prêt à s’embraser », la désinformation numérique étant l’allumette qui pourrait mettre le feu. Et si l’ère des autocrates et des dictateurs ne faisait que commencer ?
Propos recueillis par Laurent Berbon
Publié le 22/12/2024 à 17:00
Son « combat courageux pour la liberté d’expression » lui a valu le prix Nobel de la paix en 2021. La journaliste philippine Maria Ressa, critique virulente de l’ancien dirigeant Rodrigo Duterte, a subi un acharnement judiciaire de la part du régime autoritaire du président « punisseur », de 2016 à 2022. Ce dernier n’est plus au pouvoir, mais la rédactrice en chef du média d’investigation Rappler, qu’elle a cofondé en 2012, est bien placée pour savoir que les démocraties sont fragiles : « Après l’élection de Duterte, tous les contre-pouvoirs se sont effondrés en l’espace de six mois. » La journaliste voit dans bien des démocraties actuelles les mêmes signaux inquiétants qui ont placé les Philippines entre les mains d’un tyran. Adversaire acharnée des géants de la tech et des réseaux sociaux – une « boue toxique » – Maria Ressa estime qu’ils sont le bras armé des autocrates, l’allumette qui pourrait réduire en fumée les fondements de nos démocraties libérales. Et ce dès 2025. « Notre écosystème d’information publique nous pousse de plus en plus à passer d’une pensée lente, rationnelle, basée sur le choix, à un instinct tribal, à la violence et à la haine », alerte-t-elle.
Roumanie, Corée du Sud, Etats-Unis… Même les pays où la compétition électorale est la plus libre flirtent désormais avec le danger. Et si l’ère des autocrates et des dictateurs n’en était qu’à ses débuts ? « 2025 déterminera si la démocratie vit ou meurt », prévient l’auteure de Résistez aux dictateurs (Fayard, 2023). « Sommes-nous encore réellement libres de nos choix ? Ou sommes-nous condamnés à être manipulés ? » interroge Maria Ressa. Laquelle invite les citoyens du camp libéral à se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. Après avoir lu cet entretien, on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas.
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L’Express : Pouvez-vous nous expliquer concrètement comment les réseaux sociaux ont contribué à l’émergence de l’autoritarisme aux Philippines sous la présidence de Rodrigo Duterte entre 2016 et 2022 ?
Maria Ressa : C’est allé très vite. En l’espace de six mois, tous les contre-pouvoirs se sont effondrés. J’ai appelé cela « la mort par mille coupures » où, lentement, petit à petit, de petites mesures d’un gouvernement autoritaire finissent par éroder progressivement les fondements d’une démocratie. Aux Philippines, comme dans de nombreuses régions du monde, l’un des éléments déclencheurs de ce phénomène a été la technologie, en particulier les réseaux sociaux [NDLR : les Philippins figurent régulièrement parmi les trois premières nations qui passent le plus de temps sur les réseaux sociaux], où l’on peut répéter un mensonge un million de fois jusqu’à ce qu’il finisse par devenir une « vérité ». Le micro-ciblage est utilisé pour influencer les citoyens au niveau individuel. Ce système de modification comportementale cible l’équivalent cellulaire d’une démocratie, c’est-à-dire les électeurs, avec comme conséquence de menacer l’intégrité du processus démocratique. Le but est de pirater notre biologie, de changer notre ressenti et notre perception du monde. Cela modifie ensuite nos actions et, en fin de compte, notre façon de voter.
La suite de l’interview c’est dans L’Express : https://www.lexpress.fr/
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